LETTRE OUVERTE À CHRISTOPHE BOISBOUVIER ET À MARIE-FRANCE CROSS
"Si l’une des valeurs de la francophonie est l’art de ridiculiser, alors le français est sans avenir…" (Omer Nsongo Die Lema)
Je me revendique de Jules François Camille Ferry. De l’école primaire officielle de l’athénée de Ngiri-Ngiri que j’avais fréquentée dans les années 1955-1958 - l’époque l’établissement scolaire était dirigé par le belge Henri Desbouges - j’ai hérité de l’éducation civique fondée sur la civilisation judéo-chrétienne la leçon du respect dû à la personne dont on accepte l’invitation, quel que soit le contentieux que l’on peut avoir avec elle.
On n’humilie donc pas en public ou en privé la femme ou l’homme qui vous invite, dès lors que vous répondez positivement à son appel. Bien plus, ma culture de nègre d’Afrique et ma religion chrétienne ne me l’autorisent pas non plus. Si donc vous qui incarnez la civilisation judéo-chrétienne estimez que l’une des valeurs de la Francophonie consiste à ridiculiser la personne qui vous invite ou à relayer cette indélicatesse au nom de la liberté de la presse, alors vous donnez aux gens une bonne raison de douter de la survie de l’Oif. En fait, vous incitez les Francophones avertis à se tourner vers d’autres organisations…
Confrère Boisbouvier,
Le 13 octobre 2012, Rfi a repris à plusieurs reprises ton article intitulé « Derrière les sourires, une rencontre tendue entre François Hollande et Joseph Kabila ». Dans l’intertitre « En séance plénière, de petits signes qui ne trompent pas », tu donnes toute la mesure de ta capacité d’observation. Relisons : « Quelques fois, certains gestes sont beaucoup plus parlants que des paroles. Dans les sommets francophones, quand un orateur a terminé son discours et retourne à sa place, la coutume veut que ses voisins l'applaudissent. C'est le « salut ». Mais ce vendredi, quand Joseph Kabila, premier orateur de la cérémonie d'ouverture, est redescendu de son pupitre et a regagné sa place près de François Hollande, celui-ci ne l'a pas applaudi, ne lui a pas serré la main et est resté le regard plongé dans ses notes.
Puis, quand le président français est monté à son tour au pupitre, il a commencé son discours en saluant Abdou Diouf, le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), mais sans prononcer une seule fois le nom de Joseph Kabila. C'est dire l'état d'esprit du président français ici à Kinshasa : il n'a pas ménagé son homologue congolais, et aurait pu en conséquence mécontenter une salle toute acquise à Joseph Kabila (…) Autre orateur qui n'a pas ménagé le président congolais : le Premier ministre canadien, Stéphane Harper. « Je ne peux passer sous silence les violations des droits de l'homme dans le monde francophone, a-t-il dit. Le ministre canadien de la Francophonie s'est rendu à Kinshasa pour parler de ces problèmes ». Aucune réaction à ce moment-là de la part de Joseph Kabila dont le visage est resté de marbre. En revanche, à la fin de ce discours, François Hollande a applaudi l'orateur canadien.
Confrère Boisbouvier,
Je te pose cette première petite, mais alors très petite question : protocolairement parlant, qui du chef d’Etat et du secrétaire général de l’Oif a prépondérance sur l’autre ? Tu le sais bien : c’est le premier.
Comment alors, toi qui a le sens affiné des « petits signes qui ne trompent pas », tu ne te sois pas aperçu de l’impair commis par François Hollande dont le discours a commencé par saluer l’ami Abdou Douif avant non pas que le Président Joseph Kabila, mais tous les chefs d’Etat et de Gouvernement présents au XIV° sommet !
Es-tu sûr que Denis Sassou Nguesso, Ali Bongo, Macky Sall, Moncef Marzouki, François Bozize, Pierre Nkurunziza, Fort Gnassingbé, Michel Martelly, Blaise Compaore, Paul Biya, Mahamadou Issoufou, Alassane Ouattara et autres Alpha Condé ont apprécié ? Es-tu sûr que le vice-président du conseil fédéral helvétique Ueli Maurer, le Premier ministre tchadien Emmanuel Nadingar, le vice-premier ministre et ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders ainsi que la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mishikiwabo ont accepté tel affront ?
Ce dont je suis au moins sûr, c’est que le secrétaire général Abdou Diouf n’a pas aimé ce geste de mépris à l’égard de ceux qui sont tout de même des collègues en fonction.
Christophe, dans ton reportage, tu ne fais même pas attention aux cinq autres prestations, dont celles du tunisien Moncef Marzouki, du sénégalais Macky Sall et même du patron de l’Oif ! Serait-ce parce qu’ils ont commis, eux, l’impair de citer Patrice-EmeryLumumba mort voici 51 ans et dont, comme par hasard, Joseph Kabila Kabange est l’héritier par son père Laurent-Désiré Kabila ?
Deuxième petite question : selon tes connaissances, à qui revient la charge d’inviter à un sommet de l’Oif les chefs des Etats membres ? Est-ce au secrétariat général de l’Oif ou au chef d’Etat du pays hôte ? Tu le sais très bien : c’est à ce dernier. En clair, ce n’est pas Abdou Diouf qui a invité François Hollande au sommet de Kinshasa, pas plus qu’il n’a invité un autre chef d’Etat ou un chef de gouvernement. C’est en sa qualité de Président de la République Démocratique du Congo que Joseph Kabila Kabanga l’a fait. Il en sera ainsi en 2014 lorsque cette charge reviendra au Président Macky Sall du Sénégal. Au demeurant, tous les chefs d’Etat dont les pays ont accueilli les 13 sommets précédents de l’Oif ont exercé cette responsabilité…
Je te recommande, pour terminer, de revoir la photo reproduite dans tous les magazines français parus sur le Net les 13, 14 et 15 octobre 2012 puisque tu as insisté sur le sourire mitigé du chef de l’Etat français. Elle montre le couple présidentiel congolais, le secrétaire général de l’Oif et François Hollande. Qui des quatre sourit le plus ? En tout cas, ce n’est pas Olive Lembe Kabila, Joseph Kabila Kabange et/ou Abdou Diouf. C’est François Hollande. Bien entendu, l’auditeur ou l’auditrice de Rfi ne pouvait pas voir cette photo.
Les amis qui se trouvaient à la Cité de l’Union africaine le samedi 13 octobre 2012 ont vu Joseph Kabila et François Hollande dévissant comme de vieux copains. Bien entendu, tu n’étais pas là. Ou si tu y étais, tu n’as pas eu le courage de le dire aux auditeurs de Rfi, étant gêné de te contredire.
Confrère Boisbouvier,
C’est vrai que personne ne peut te dicter tes choix. Mais sache au moins que du moment où tes choix-là deviennent publics, chaque lecteur, chaque auditeur a le droit de les analyser et d’en tirer la déduction ou la conclusion qu’il veut. La mienne de déduction est que tu as fait un reportage méprisant. Je te le démontre plus loin…
Consoeur Cross,
J’ai devant moi ton article intitulé « Francophonie : Kabila subit des affronts » paru dans « La Libre (Belgique)».
Mis en ligne le lundi 15 octobre 2012, il comporte dans les 3ème et 4ème paragraphes un mensonge grossier. Tu les rends en ces termes : « Une grande part des discussions qui se sont tenues dans et autour de l’enceinte du sommet ont cependant porté sur la démocratie. Après avoir annoncé, vendredi à Dakar, qu’il entendait rompre avec "la Françafrique " - les complaisances réciproques entre Paris et les dictatures du "pré carré" français sur le continent - François Hollande semble avoir décidé d’aller plus loin qu’une simple phrase. Ainsi, dans une Kinshasa envahie par des policiers et militaires chargés d’empêcher l’opposition de dénoncer les fraudes électorales massives de novembre 2011, le chef d’Etat français a rencontré son homologue congolais pour un entretien d’une demi-heure qualifié de " franc et direct ", mais s’est gardé d’applaudir le discours de Joseph Kabila et s’est abstenu de le remercier en tant qu’hôte, note Reuters, lorsqu’il a prononcé le sien ».
Le lectorat moins avisé serait tenté de croire que la phrase soulignée est de l’agence Reuters. La vérité est que c’est l’ajout qui l’est. La première partie de la phrase est la tienne.
Consoeur Cross,
Puisque tu feins de l’ignorer, je me fais le devoir de te rappeler que les mercredi 10 et jeudi 11 octobre 2012, Rfi a livré l’information selon laquelle « L’organisation de la rencontre prévue entre François Hollande et Etienne Tshisekedi n’est pas simple. Samedi 13 octobre, le leader historique de l’opposition congolaise doit rencontrer le président français dans la résidence de l’ambassadeur de France à Kinshasa. Le problème est que son parti, l’UDPS, avait prévu une manifestation, une marche pour accompagner son leader. Côté français, on ne souhaite surtout pas de désordre à l’occasion de ce rendez-vous et on le fait savoir. Pour l’Elysée il n’est pas question que François Hollande se fasse piéger à cause d’une manifestation qui pourrait mal tourner. Dans un message adressé à la direction de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), l’ambassade de France déclare qu’il est hors de question pour François Hollande de rencontrer Etienne Tshisekedi si des manifestations font courir des risques d’affrontements violents. Affrontements dont le président français pourrait être tenu pour indirectement responsable ».
Par honnêteté intellectuelle, je voudrais dire par respect à l’égard de ton lectorat, tu aurais dû faire allusion à cette condition posée non pas par la RDC, mais par la France.
S’agissant du dispositif sécuritaire, laisse-moi te dire que tu me surprends, consoeur. C’est comme si c’est seulement à Kinshasa que tu as assisté à un tel déploiement de la police et de l’armée. As-tu était à New York à l’occasion des sessions annuelles de l’assemblée générale des Nations Unies ? Fais-tu attention au dispositif sécuritaire qui entoure des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne à Bruxelles ? T’arrive-t-il de jauger ce même dispositif à chaque sommet du G 8 ou du G 20 ?
Pourquoi veux-tu alors faire l’exception congolaise ? Ne sais-tu pas que les opposants ont menacé de s’en prendre aux invités ? Ne sais-tu pas qu’un internaute proche de Tshisekedi a, dans un posting du 24 août 2012 intitulé « Francophonie en RDC : François Hollande un frelon aux allures d'un Capo di tutti capi ! », comparé Hollande à un chef d’une bande maffieuse ? Oublies-tu que Mme Benguingui a reçu des menaces de mort ?
Certainement que tu as dû croiser les doigts pour qu’un participant au sommet soit agressé ou simplement accidenté. Tu as certainement ressenti de la rage de voir tes desseins ne pas se réaliser.
A Christophe et à Marie-France,
Une expression de mon terroir parle de « Bana ba seka » et de « Bana ba nzo ». Les « Bana ba seka » sont les « enfants de la cour » ; les « bana ba nzo » les « enfants de la maison ». Les enfants de la maison ont généralement plus d’avantages que ceux de la cour, même s’ils sont tous de la même famille élargie.
Joseph Kabila Kabange a beau rappeler à la communauté francophone réunie à Kinshasa que « C’est depuis 1886, soit plus d’un siècle, que la langue française est pratiquée sur notre territoire national », il n’en reste pas moins que la RDC est francophone par accident. Elle aurait dû être neerlandophone puisque d’abord propriété privée du roi des Belges Léopold II, ensuite colonie du royaume de Belgique. Elle a donc tout d’un « mwana seka », entendez « enfant de la cour ».
François Hollande s’est fait fort de nous le rappeler alors que le tapis rouge est garanti aux chefs d’Etat « bana ba nzo » de passage à l’Elysée. Rien que ce geste souligne la persistance de la « Françafrique », contrairement au discours de Dakar destiné à la consommation publique.
Car, si tel n’est pas le cas, par quoi, Christophe et Marie-France, expliquez-vous la charge confiée par François Hollande à l’ambassadeur Luc Hallade d’écrire au gouvernement congolais pour la libération des journalistes emprisonnés et le rétablissement du signal de la Rltv ? Doit-on croire que c’est dans les usages diplomatiques qu’un ambassadeur soit autorisé par son chef d’Etat d’écrire au gouvernement du pays d’accréditation ?
Si le discours de Dakar est réellement celui du partenariat égalitaire, François Hollande devrait se souvenir que son correspondant en RDC a pour nom Joseph Kabila Kabange ; le gouvernement Jean-Marc Ayraut a pour correspondant en RDC le gouvernement Augustin Matata, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a pour correspondant en RDC le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et de la Francophonie Raymond Tshibanda.
Dans cette logique, au cas où l’ambassadeur Luc Hallade a un message à transmettre, il va devoir le recevoir de son gouvernement et non en être personnellement l’auteur, le signataire et l’expéditeur.
Vous ne pouvez donc, chers confrères, mesurer l’embarras dans lequel François Hollande a mis les « Bana ba nzo » dans son discours du 13 octobre 2012. Il les a contraints à marquer des signes de solidarité à l’égard du « mwana seka » Joseph Kabila Kabange.
Boisbouvier et Cross,
Puisque vous avez si bien veillé aux petits faits et aux menus gestes de la journée d’ouverture du sommet, avez-vous remarqué que ce que vous considérez comme des affronts subis par Joseph Kabila Kabange sont venus plutôt de deux chefs blancs à la tête de la délégation française et canadienne ?
Conséquence inattendue : au sortir de l’audience que lui a accordée François Hollande, l’opposant historique Etienne Tshisekedi a eu ces mots révélateurs, notés dans l’article de Marie-France Crois : le chef de l’Etat français « est un frère de l’Internationale socialiste, nous nous sommes retrouvés entre frères » et prédit le renversement de Joseph Kabila Kabange. A la question de savoir quand, le lider maximo déclare : « je ne peux pas donner de date, je vous dis sous peu ».
Ainsi, Tshisekedi implique délibérément Hollande dans un coup d’Etat annoncé, et curieusement, Boisbouvier et Cross ne saisissent pas ce fait et geste avec tout ce qu’il comporte comme potentiel de crises dans les relations diplomatiques entre la RDC et la France, mais aussi au sein même de l’Oif !
Vous vous contentez plutôt de soutenir la thèse de l’organisation chaotique des élections du 28 novembre 2012. Mais, curieusement, pour une fois que vous avez Etienne Tshisekedi à votre portée à l’ambassade de France, vous vous abstenez de demander finalement lequel des scores ceux avancés par lui-même et par son parti est le vrai. Puisque, sur Rfi le 10 décembre 2011, Tshisekedi avait déclaré avoir gagné « dans les 75 % », tandis que son parti, l’Udps, l’a déclaré vainqueur à 56,02 % alors que la compilation interne était encore à 9,26 % à la date du 23 décembre 2011, date à laquelle le lider maximo s’est auto-investi président de la République !
Laissez-moi vous le dire alors : de tels travers ne peuvent s’expliquer que par le mépris du congolais. Un peuple qui vient de loin et qui n’aura pas eu tort de vous dire « Mbote », simplement parce qu’il a la culture du respect de ses invités